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L' Ange

J’ ouvre la porte de la salle à manger. Le soleil du matin brille lumineux à travers les fenêtres et réchauffe ceux qui sont assis près d’ eux. Il y a seulement une dizaine de personnes autour. Je regarde pour voir si l’ un d’ eux est l’ ange, alors que je continue mon chemin dans l’ escalier. Elle n’est pas ici. Je soupire en silence alors que je me tourne vers les placards. Je prends un bol et une cuillère et je vais vers les céréales. Je verse les flocons de maïs dans mon bol et j’enfonce la cuillère en dessous d’ eux, avant de rejoindre le distributeur de lait. En tenant le bol sous le robinet, je pousse la poignée vers le bas avec le pouce de la même main.

Je me retourne et je trouve quelqu’un que je connais qui approche. Il me salue, et je réponds avec un simple "Bonjour". C’est un réflexe à cette heure matinale. Mon esprit n’est pas encore réveillé. Il restera probablement endormi jusqu’à la moitié de mon premier cours. Je scrute la salle pour un endroit où s’ asseoir. Où serait l’ ange assis si elle était là? Je vois une table dans la deuxième rangée, à proximité des grille-pain, et je souris d’ un sourire rêveur. C’est celle-là. Je me dirige vers elle et je m’assoie.

Je fouille dans les corn flakes avec hésitation. Il s’ agit d’ un maniérisme bizarre, mais dont je ne peux me débarrasser. Je prends une cuillère et je la mets dans ma bouche. Je n’en sens pas vraiment le goût. Je fais seulement craquer les céréales sèches et je laisse le lait couler autour dans ma bouche. C’est le sentiment familier des corn flakes écrasés et le lait froid qui me soulage dans la matinée. Pas de café pour moi. Comme je termine le mâchage, j’avale et je prends une autre cuillère. Avec un doigt de ma main libre, j’essuie une goutte de lait sur mes lèvres. Puis-je prends la bouchée suivante et je commence à croquer à nouveau.

J’ entends la porte battante à l’ extérieur s’ouvrir, et je lève les yeux. Je fais toujours ça le matin. Au moins jusqu’à ce que l’ ange arrive. Je cligne des yeux et tout à coup mon cœur saute. Je regarde la personne qui vient d’ entrer marcher autour des tables. C’est l’ ange. Mon apparence extérieure reste entièrement composée alors que mes entrailles semblent se transformer en guimauve, une guimauve chaude, fraîchement grillé sur un feu de camp. Je sens que des bulles me chatouillent mais je ne peux me permettre de la regarder pendant une fraction de seconde.

Je regarde mon bol et la suit dans mon esprit. Je sais qu’elle va passer à côté de ma chaise dans quelques secondes. Trois ... Deux ... Une ... Je lève les yeux passagèrement et elle est exactement là où mon esprit s’attend à la trouver. Je souris légèrement et laisse ma langue vider ma bouche des corn flakes. Je la salue comme par hasard autant que je peux. "Salut," dit-elle simplement et puis elle s’en alla.

En surface, l’ échange était très décontracté. En fait, je doute qu’elle soupçonne qu’il y avait un plus que la salutation mutuelle obligatoire. Mais il y avait plus que cela pour moi. J’ai eu un contact visuel avec elle pendant un instant. J’ai remarqué ses grands yeux avec de beaux iris bruns. Ils me paraissent des yeux émerveillés qui voient tout dans le monde sans préjudice. Des yeux gentils et bienveillants. Presque aussi innocent qu’un enfant.

Je souris doucement alors que je sens le vent qu’elle a créé en passant autour de moi. Tout semble ralentir. J’aime cette façon. Je sens mon pouls, remarque ma respiration et peut entendre le chant des oiseaux à l’ extérieur. Je reste assis pendant un certain temps, en imaginant ses yeux dans ma tête. J’avale ma bouchée de corn-flakes et je prends une autre cuillère. Les flocons perdent leur croquant maintenant. Je me tourne pour la regarder comme elle se dirige vers l’ armoire pour prendre un bol.

Elle marche avec une telle précision. Laissant ses mains subtilement aplaties, se déplacer à l’ unisson avec ses pieds qui bougent très peu, presque indétectables. Pourtant, je regarde, manifestement, ses fesses basculer sous le bleu denim de ses jeans. Je cligne des yeux et je tourne le dos, sachant que j’ai regardé pendant près de deux secondes. Beaucoup trop long pour un timide comme moi. Je frissonne imperceptiblement alors que j’imagine sa marche dans ma tête.

Je me demande si elle va s’ asseoir avec moi. Je suis seul à la table et aucun de ses amis n’est là. Je suis optimiste mais en même temps douteux. Parfois, elle choisit de s’ asseoir seule. Ce qui est assez juste, je suppose. Mais ça me fait mal quand je vois qu’elle préfère rester seule que de s’ asseoir avec moi.

Cela me rappelle l’ époque où elle a refusé mon invitation à un concert. Cela me fait mal bien plus profondément que je ne peux admettre. Il n’aurait pas été si mauvais si elle avait dit «non» tout de suite. En fait, j’aurais pu la laisser seule si elle l’avait fait mais au lieu, elle a accepté (éventuellement) et je me suis presque effondré de joie! Quand j’avais raccroché téléphone, je ne pouvais m’empêcher d’avoir un très large sourire et j’ai lancé le "OUI!" coutumier avec un swing enthousiaste de mon poing fermé. Mais elle a rappelé. Les billets coutaient vingt-cinq dollars. "Est-ce bon ou mauvais?" Mauvais, bien sûr. Elle ne pouvait pas se le permettre. J’ai accepté ses excuses gracieusement et je lui ai dit que c’était correct. Ce n’était pas exactement la vérité.

Je suis surpris de mes pensées par un bol de l’autre côté de la table. La main de l’ ange. Je regarde son visage et je prends un cliché mental. Ses yeux semblent un peu fatigués, et son expression semble laborieuse mais son visage est toujours le même visage agréable de toujours. Frais et réfléchie. Il est un visage plein qui n’est pas caché par l’écoulement naturel de ses cheveux bruns brillants.

Aucun d’ entre nous n’était de bonne humeur pour une petite discussion. Nous sommes donc juste restés assis là en grignotant nos céréales. J’ évite ses yeux parce que je ne veux pas qu’elle sache mon fort besoin de la regarder. Je me force à me contenter d’ un regard distrait. Mon bol est presque vide et je m’efforce de ne pas faire de bruit alors que je ramasse le surplus de lait avec ma cuillère.

J’aime tout dans son visage. Il est parfait pour moi. J’ aime particulièrement son nez. De profil, il est éloquent, avec une boucle adorable au pont. De l’ avant, il apparaît comme un bouton mignon. De toute façon c’est la caractéristique la plus attrayante sur son visage. Mieux que ses sourcils bien définis. Mieux que son front soucieux. Mieux encore que sa bouche mince et large qui est si facilement enroulée dans un sourire.

Je prends mon bol et je reviens avec un verre de jus d’ orange. Elle lève les yeux vers moi avant de me rasseoir. Juste un coup d’ œil distrait. Si seulement elle s’intéressait beaucoup à moi tout en se cachant sous une expression décontractée. Si seulement nous étions tous deux en train de jouer un jeu en cachant notre secrète adoration derrière des masques d’ indifférence. Il semble peu probable qu’elle le ferait. Elle me l’aurait dit franchement si elle m’avait trouvé intéressant. Et c’est ce fait qui rend son silence si difficile à accepter.

Ca me plait de juste s’asseoir avec elle. Surtout en étant à côté d’ elle mais juste assis à la même table est suffisant. J’ aime l’ écouter et entendre ce qu’elle a fait. Il est d’ autant intéressant pour moi. Elle me fascine. Quand elle dit à quelqu’un qu’elle fait une micro jupe super courte qu’elle ne portera jamais, je l’ écoute (et je souris largement, en s’ assurant qu’elle ne peut pas me voir). Quand elle raconte à tout le monde qu’elle a rencontré la veille un mec "chaud", je l’ écoute (et je pleure plus tard, quand je suis seul).

Lorsque d’ autres personnes écoutent, ils la jugent injustement. Et alors, ils pourraient être si inconvenants de le lui dire. En général, je déteste quand les gens l’ insultent et je dis que c’est «cruel» ou «injuste». Mais les gens vont penser que je suis juste sarcastique, alors que je l’ entends vraiment. Et ce n’est pas grave, parce que s’ils savaient que je le pensais vraiment, ils sauront combien je la respecte. Et puis, je serais la cible des blagues (si je ne le suis pas déjà). Et puis il y a le temps, dans le feu de l’ action, quand je me joins au groupe mais c’est seulement pour me faire accepter. Je n’ai jamais eu l’ intention de lui faire du mal. Bien que parfois je sais que je le suis et je me sens absolument terrible après.

J’ ai fini mon jus d’orange maintenant, je regarde ma montre et je vois que je suis un peu en retard. Je me lève lentement et prend le courage de dire «Bye». Je m’efforce beaucoup afin de ne pas paraître regrettable mais je le suis toujours. Je lève ma main dans un geste faible et j’ évite de la regarder dans les yeux. Je trouve que je ne peux pas parce que je crains que peut-être je vais voir ses esprits s’emporter à l’ idée de mon départ. Ou à tout le moins, son expression ridiculisant mes adieux pathétiques.

Je dépose mon verre sur un chariot en sortant lentement de la salle à manger. Je monte les marches et je tiens la porte ouverte pour permettre à des personnes de passer. Ils me remercient poliment, puis continuent leur chemin. Je passe la porte et je soupire, laissant l’ ange finir son petit déjeuner sans ma compagnie.

Alors que je retournai à ma chambre, je serre ma main contre mon cœur et je dis à l’ ange que je l’ aime. J’essaie de l’ imaginer dans mon esprit mais déjà l’ image commence à s’ estomper et je sais que je vais devoir la revoir. Je dois rafraîchir l’ image avant qu’elle perd sa netteté. Je voudrais avoir une image de l’ ange mais ce texte est aussi proche de l’ image que j’ ai.

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Exit: Make-Believe; Kasoft Typesetting; Archer


This work is a part of the Kasoft Typesetting storybook Make-Believe

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French translation by Babylon with edits by Myriam Lair